FISCHER, GOULD, et bien d'autres


FISCHER, GOULD, ET BIEN D'AUTRES

René DRUAIS
Juge CNJF-OMJ

Les éleveurs d'oiseaux exotiques , en parlant de leurs oiseaux , prononcent très souvent des noms propres comme Gould , Bicheno , Kittlitz , Fischer , Swainson ou Gambel et je me suis souvent demandé s'ils avaient eu la curiosité d'en connaître davantage sur ces hommes des siècles passés , passionnés d'oiseaux comme eux.

C'est La Rochefoucault qui a écrit « Il y a diverses sortes de curiosité : l'une d'intérêt qui nous porte à désirer d'apprendre ce qui peut nous être utile, et l'autre d'orgueil qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent »
Les lignes qui suivent, sont parfaitement inutiles pour progresser dans un élevage ou gagner des médailles ; mais je ne les ai pas écrites non plus par orgueil, mais pour le plaisir d'aller à la rencontre de ces hommes qui sont en quelque sorte, nos prédécesseurs et dont la passion était de pouvoir étudier , nommer , classer mais aussi montrer à leurs contemporains les merveilleuses beautés des oiseaux exotiques jusque là inconnus en Europe .



Entre les naturalistes des 18ème et 19ème siècles et les éleveurs d'exotiques du 21ème siècle , il y a , outre la passion des oiseaux , quelques points communs :
- nous utilisons les mêmes binômes latins pour pouvoir établir nos classifications et communiquer avec nos collègues étrangers ;
- nos standards peuvent s'apparenter à la description détaillée qu'effectuait le « découvreur » d'une espèce nouvelle ;
- enfin , même si ce n'est qu'à la fin du 19ème siècle , certains d'entre eux ont cherché à ramener vivants certains oiseaux en Europe pour essayer de les acclimater : après les muséums et leurs oiseaux naturalisés sont venus les « jardins d'acclimatation », précurseurs des parcs zoologiques et des collections privées . Les oiseaux que nous élevons dans nos volières sont , pour certains au moins , les descendants des premiers oiseaux importés : c'est le cas des perruches ondulées que John Gould avait rapportées de son voyage en Australie . Il en confia quelques-unes à lord Stanley , comte de Derby qui fut le premier à réussir leur reproduction en 1848 .
La comparaison s'arrête là : alors qu'un éleveur d'aujourd'hui se passionne pour les oiseaux vivants , les ornithologues d'autrefois étaient , il faut l'admettre, des « chasseurs » qui n'étudiaient les oiseaux qu'une fois morts . Songez que J. J. Audubon (1785-1851) , célèbre pour ses peintures d'oiseaux d'Amérique du Nord a écrit : « Je dis qu'il y a peu d'oiseaux quand j'en abats moins de 100 par jour » , que William Yarrell (1784-1856) avait la réputation d'être le meilleur tireur de tout Londres ou que le révérend H.B.Tristram (1822-1906) , très grand collectionneur , était appelé par ses paroissiens « le grand fusil de Durham » !
On a du mal à imaginer la quantité d'oiseaux ainsi prélevés de par le monde, mais , à cette époque , c'était au nom de la science . On avait pour objectif d'inventorier la totalité du monde vivant et donc chaque espèce, à peine abattue, était dépecée ; les « peaux » préparées pour leur conservation étaient ramenées en Europe afin d'être naturalisées par les taxidermistes. Il revenait enfin aux naturalistes de les nommer et de les décrire dans une publication officielle , devenant ainsi leurs « auteurs » .
C'est dans le « Systema naturae » de Carl von Linné (1707-1778) que l'on trouve en 1760 la première liste , avec leur dénomination binominale , des oiseaux connus de l'époque . Chaque nouvelle édition a été enrichie de nouvelles espèces , en particulier la 7ème (1776) par P.L.Statius Müller (1725-1776) , puis la 13ème (1793) par J.F.Gmelin (1748-1804) .
Chaque espèce avait ainsi son double nom (Genre et espèce) en latin . Le nom d'espèce désignait en général une particularité de l'oiseau , soit anatomique (couleur, taille, forme) , soit géographique ( pays, région, lieu de vie) . Mais au fur et à mesure que le nombre d'espèces décrites augmentait , il devenait de plus en plus difficile de trouver un nouveau nom original .
C'est , semble-t-il , Scopoli (1723-1788) , un médecin et naturaliste autrichien qui utilisa le premier un nom de personne pour désigner l'oiseau qu'il venait de décrire : en 1769 la perruche à collier fut ainsi appelée par lui Psittacula krameri en l'honneur de W.H.Kramer ( mort en 1765 ), un médecin allemand qu'il avait connu à Vienne .
Mais c'est au 19ème siècle que cette habitude devint bien plus courante . La liste des catégories de personnes ainsi honorées est longue : cela va du souverain de son pays au collaborateur le plus modeste en passant par les collègues naturalistes ou les membres de sa famille .
La formation du nom latin d'espèce est simple : au nom ou au prénom , on rajoute i pour un homme et ae pour une femme .

220px-John GouldCarl von Linn220px-James Ebenezer Bicheno

Jon GOULD                                       Carl Von LINNE                                     Jannes Ebenezer BICHENO


Honneur aux dames.

Il faut reconnaître que le monde de l'élevage de loisir est très majoritairement masculin et ce ne sont pas les 2 seules femmes juges à la CNJF qui me contrediront . Il en est de même pour les ornithologues d'autrefois .
Si on trouve près de 800 noms différents d'hommes à qui une ou plusieurs espèces ont été dédiées , c'est sur les doigts d'une main que l'on peut compter les femmes à avoir eu cet honneur .
Il faut aussi attendre le début du 20ème siècle pour trouver une femme qui , à l'égal des hommes , soit partie en expédition et ait décrit de nouvelles espèces . Il s'agit d'Emilie Snethlage , une ornithologue allemande (1868-1929) qui a exploré le Brésil de 1905 à sa mort et qui a décrit de nombreux todirostres dont Hemitriccus minor qui porte son nom . En 2002 , un nouveau psittacidé lui a été dédié par Bates et Joseph ses découvreurs : c'est la conure de Snethlage , Pyrrhura snethlageae .
Auparavant quelques autres dames avaient laissé leur nom à des oiseaux :
- Sarah , l'épouse de Lord Amherst avait accompagné ce dernier lorsqu'il avait été nommé gouverneur des Indes en 1823 . Trois ans plus tard , on leur offrit 2 superbes faisans originaires de Birmanie . Ils séjournèrent pendant 2 années dans une volière à Calcutta , puis lady Amherst les ramena avec elle en Angleterre lors de son retour en 1828 . S'ils survécurent à la traversée , ils moururent quelques semaines après leur arrivée . Mais leur propriétaire les avaient montrés à B.Leadbeater , un négociant en spécimens naturels , qui en fit la description en 1829 et les appela en son honneur Chrysolophus amherstiae ( Faisan de Lady Amherst ) .
- James Clark Ross était un navigateur et explorateur anglais . Lors de sa première expédition , en 1823 , il tire une nouvelle espèce de mouette à la poitrine rose que l'on continue d'appeler Mouette de Ross même si son nom latin est à présent Rhodostethia rosea . Plus tard John Cassin lui dédiera une petite oie : Anser rossii ( Oie de Ross ) . A 43 ans , il épouse Ann Coulman . C'est à celle-ci que John Gould en 1852 dédia un touraco nouvellement découvert : Musophaga rossae ( Touraco de Lady Ross ) .
- Successivement jardinier , taxidermiste , ornithologue au muséum de Londres , peintre , voyageur et surtout éditeur avisé , ce John Gould est une des grandes figures de l'ornithologie anglaise du 19ème siècle . En 1829 , il épouse Elisabeth Coxen , une artiste peintre qui deviendra très vite une précieuse collaboratrice . Dans le 1er ouvrage qu'il publie entre 1830 et 1832 sur de nouvelles espèces qui lui étaient parvenues provenant des montagnes himalayennes , c'est elle qui réalise toutes les illustrations alors que le texte est , lui , écrit par N.A.Vigors (1785-1840) . Ce dernier dédiera à Mme Gould , en 1831 , un souimanga qu'il appellera Aethopaga gouldiae .
D'autres publications suivront . John Gould a en projet d'éditer un ouvrage sur les oiseaux australiens . Pour parfaire ses connaissances et compléter sa collection , il se rend en Australie en compagnie de sa femme de 1838 à 1840 . C'est peu après leur retour , en 1841 , qu'Elisabeth meurt , à l'âge de 37 ans , suite à la naissance de son 8ème enfant . Plus tard Gould écrira « J'avais une pure affection pour ma défunte femme qui m'a aidé laborieusement avec son crayon durant plusieurs années , m'a accompagné en Australie et s'est intéressée joyeusement à toutes mes occupations » .
Il ne se remarie pas mais met toute son énergie dans son œuvre majeure « Les oiseaux d'Australie » publiée de 1840 à 1848 en 7 volumes où il présente 600 oiseaux dont 328 nouveaux pour la science .
Parmi ceux-ci , il y a un des joyaux de l'avifaune australienne , un magnifique estrildidé aux couleurs splendides qu'il dédiera en 1844 à sa femme sous le nom : Amadina gouldiae . Si son genre a été changé ( Chloebia puis plus récemment Erythrura ) et s'il est actuellement menacé dans son pays d'origine , cet oiseau est prospère dans nos volières et il aurait été logique à l'instar des australiens ( Lady Gouldian finch ) , qu'il soit appelé Diamant de Lady Gould !
- Allan O. Hume ( 1829-1912 ) suivra son exemple : en 1881 , il dédie à sa femme le faisan de Hume
Syrmaticus humae ( Mrs Hume's barredback pheasant ) .

  

 Après les noms , les prénoms ...

La plupart des éleveurs connaissent la colombe de Cécile ou le toui Catherine parce qu'on peut les voir en concours . Mais il y a beaucoup d'autres oiseaux qui portent des prénoms de femmes : les ornithologues , tous des hommes , ont cependant eu la délicatesse de les attribuer à des oiseaux aux couleurs chatoyantes et au vol gracieux . C'est ainsi que plus de la moitié de la centaine de ces prénoms se retrouve dans la famille des trochilidés : coquettes , ériones , saphirs , émeraudes , arianes et surtout colibris ( plus de 20 )
Si on connaît le nom du descripteur , il n'est pas facile de savoir s'il a voulu rendre hommage à une épouse , une fille ou une sœur !
Lorsque c'est une reine ou une princesse qui est ainsi honorée , on peut avoir quelques précisions :
- Charles Lucien Bonaparte , neveu de Napoléon 1er et cousin de Napoléon III , s'il fit un peu de
politique , est surtout connu comme ornithologue . En 1822 , il épouse sa cousine Zénaïde Bonaparte (fille de Joseph, l'aîné de ses oncles) dont il aura 12 enfants . En 1825 , il décrit une nouvelle sous-espèce de Tourterelle à queue carrée et la nomme zenaida en l'honneur de son épouse . Comme en 1838 , il donne ce nom à tout le genre , cet oiseau s'appelle à présent Zenaida aurita zenaida .
- Le paradisier de Victoria Ptiloris victoriae a été découvert en Nouvelle Guinée par l'australien J.MacGillivray en 1848 . Il fut décrit par John Gould en 1850 qui le dédia à sa souveraine , la reine Victoria qui régna sur le Royaume Uni de 1837 à 1901 .
- C'est cette même reine qui arrangea le mariage de son fils Edouard ( alors prince de Galles ) avec la très belle Alexandra Schleswig-Holstein en mars 1863 . Gould encore lui , en bon sujet de sa majesté , donna cette année là le prénom de la toute nouvelle princesse à une espèce de perruche , Polytelis alexandrae , très belle aussi et que les éleveurs de psittacidés connaissent mieux sous son ancien nom (Princesse de Galles) que sous l'actuel (Perruche d'Alexandra) .
- Autre oiseau bien connu , l'inséparable de Liliane Agapornis lilianae a été découvert en 1890 par Lilian Sclater , la sœur de P.L.Sclater , célèbre ornithologue anglais (1829-1913) . Il ne sera décrit par Shelley qu'en 1894 et il faudra attendre 1920 pour qu'on importe en Europe les premiers spécimens vivants .
- Le paradisier de Carola Parotia carolae a ainsi été nommé en 1894 par l'allemand A.B.Meyer pour honorer Caroline de Suède , femme du roi Albert de Saxe .
- Le paradisier de Stéphanie Astrapia stephaniae découvert par Carl Hunstein , sera décrit en 1885 par l'ornithologue Otto Finsh (1839-1917) et dédié à la princesse Stéphanie de Belgique , l'épouse du prince héritier Rodolphe d'Autriche (dont on connaît la fin tragique à Meyerling en 1889 ) .
- Tragique aussi fut la mort de Thékla Brehm , la fille de l'ornithologue allemand C.L.Brehm ( 1787-1864) : elle mourut en 1857 d'une malformation cardiaque à l'âge de 24 ans . Son père , l'année suivante donna son prénom à une nouvelle espèce d'oiseau que ses fils venaient de lui ramener d'Espagne : Galerida theklae (Cochevis de Thékla) .
- En 1861 c'est Cooper qui appelle une paruline : Vermicola luciae pour commémorer Lucie Baird , la fille de S.F.Baird (1823-1887) , un ornithologue bien connu .
- Ce dernier était coutumier du fait ; 3 autres parulines décrites par lui portent des prénoms féminins :
- en 1858 , Vermivora virginae ( Virginia Anderson était l'épouse du chirurgien militaire qui avait découvert l'oiseau )
- en 1865 , Dendroica adelaidae d'après Adélaïde Swift dont le père Robert avait capturé le premier spécimen .
- et enfin , toujours en 1865 , le docteur Elliott Coues lui demanda de décrire une nouvelle espèce qu'il venait de trouver et de lui donner le prénom de sa sœur Grâce Coues ; Baird qui était son professeur et ami appela donc l'oiseau : Dendroica graciae .
Ces quelques exemples suffisent à montrer comment étaient choisis certains noms d'oiseaux . Les noms en français peuvent parfois prêter à confusion .Il ne faut pas confondre le prénom (isabellae = d'Isabelle) avec la couleur (isabellina = isabelle) ; de même , on peut rencontrer des « carolinae » et des « carolinensis » : les premières désignent le prénom , l'autre la région d'origine .
Pour en terminer , la mouette de Sabine ne commémore pas un prénom féminin mais Edouard Sabine , un astrophysicien à qui son frère Joseph (1770-1837) ornithologue , a dédié en 1819 cette mouette : Larus sabinii .


 Retour aux hommes .

Bien évidemment , ce sont des noms d'hommes que l'on retrouve le plus abondamment dans la dénomination des oiseaux . Il n'est pas question de les citer tous : même en ne citant que ceux de nos oiseaux d'élevage , il faudrait presque un dictionnaire .
Comme on l'a compris , le descripteur d'une espèce nouvelle pouvait honorer une personne de son choix . L'usage voulait que l'on ne se nomme pas soi-même .
Quelques-uns ont cependant dérogé à la règle :
William Gambel (1823-1849) a donné son propre nom en 1843 au Callipepla gambelli ( Colin de Gambel ) .
Andrew Adams (1827-1882) fit de même en 1851 pour Montefringilla adamsi ( Niverolle du Tibet ) .
Adulphe Delegorgue (1814-1850) se dédia en 1847 deux oiseaux : Columba delegorguei ( Pigeon de Delegorgue ) et Coturnix delegorguei ( Caille arlequin ) .

Mais en règle générale, l'auteur d'une espèce nouvelle choisissait , soit un nom latin "classique" , soit le nom ( ou le prénom) de celui ( ou celle) qu'il voulait honorer . Comme , à son tour , son nom pouvait être donné à un oiseau par un autre auteur , on peut ainsi trouver pour le même nom , deux cas de figure :

- Espèce "dédiée à" : Canard d'Oustalet Anas oustaleti (Salvadori 1894)
Diamant de Peale Erythrura pealii (Hartlaub 1852)
- Espèce "décrite par" : Verdier d'Oustalet Carduelis ambigua (Oustalet 1896)
Carpophage de Peale Ducula latrans (Peale 1848) .

On trouve parfois des exemples de réciprocité où 2 auteurs s'honorent l'un l'autre :
- Chardonneret gris Carduelis lawrencei (Cassin 1850)
- Colombe de Cassin Leptotila cassini (Lawrence 1867) .

Il arrive que le nom de genre et celui d'espèce honore la même personne :
Phasianelle de Reinwardt Reinwardtoena reinwardtii (Caspar G.C. Reinwardt 1773-1854)
Eclectus de Geoffroy Geoffroyus geoffroyi (Etienne Geoffroy Saint-Hilaire 1772-1844)

Certains noms de genres sont dédiés à de grands ornithologues ; citons simplement :
Verreauxia africana Picumne de Verreaux (le français Jules Verreaux 1807-1873) .
Hodgsonius phaenicuroides Bradybate à queue rouge (le britannique Brian H. Hodgson 1800-1894) .
Ridgwayia pinicola Grive aztèque (l'américain Robert Ridgway 1850-1929) .

On trouve même des cas où le genre et l'espèce portent le nom de 2 personnes différentes :
Newtonie d'Archbold Newtonia archboldi (Alfred Newton 1829-1907) (Richard Archbold 1907-1976) .

Enfin, le nom français choisi provient parfois , non pas de celui de la sous-espèce nominale , mais d'une autre sous-espèce décrite plus tard :
Gallicolombe de Bartlett , le nom donné à l'espèce Gallicolumba criniger provient en fait de la sous-espèce G. c. bartletti décrite en 1864 par Sclater (Edward Bartlett, ornithologue anglais1836-1908 ) .
Conure de Souancé désigne Pyrrhura melanura dont la sous-espèce P. m. souancei a été décrite par Jules Verreaux en 1854. Cette même année, Charles de Souancé (1823-1896) décrivait, avec son oncle François Victor Masséna, une autre espèce bien connue des éleveurs de psittacidés, la conure de Molina Pyrrhura molinae ( dédiée à Juan Ignacio Molina, ornithologue chilien 1740-1829) .

Certains ornithologues cumulent les espèces portant leur nom , en latin ou en français : le record est sans conteste détenu par P.L.Sclater puisqu'on trouve 18 espèces à son nom ; il faut dire qu'il était membre d'un bon nombre de sociétés savantes , qu'il entretenait d'étroites relations avec beaucoup d'ornithologues de son époque et qu'il est l'auteur de plus de 1400 publications !
D'autres n'en sont pas loin : Temminck (14) , Cassin (13) , Verreaux et Hogdson (12) , Salvadori (11) .

En contrepartie , il était , je pense, assez naturel pour tous ces ornithologues , en leur dédiant une espèce , de remercier tous ceux qui les aidaient dans leur travail : les collecteurs qui vont dans les contrées lointaines capturer les oiseaux , les taxidermistes qui les naturalisent , les collectionneurs qui les achètent , les artistes qui les peignent , sans parler des souverains ou des mécènes qui financent les expéditions , de leurs collègues d'autres disciplines qu'ils côtoient dans de multiples sociétés savantes ou des membres de leur famille .
Il n'est donc pas étonnant de retrouver parmi les noms des oiseaux présents dans nos concours ( en sections F ou K ), non pas ceux d' ornithologues réputés , mais ceux de personnes souvent moins connues .

Voici quelques exemples parmi les plus fréquemment rencontrés :
- Inséparable de Fischer Agapornis fischeri ; Gustav Fischer (1848-1886) est un explorateur et médecin allemand qui mena de 1876 à 1885 plusieurs expéditions en Afrique orientale , atteignant le lac Victoria et le pays masaï . Peu de temps après son retour en Allemagne , il meurt en 1886 , des suites d'une fièvre contractée pendant ses voyages .C'est son ami Anton Reichenow (1847-1941) qui décrira les spécimens qu'il avait rapportés de ses expéditions et , cas unique , leur donnera à chaque fois son nom : c'est ainsi qu'il existe un touraco , un bulbul , une veuve , un spréo , un gobemouche , tous de Fischer ! IL n'y a que la ptilope de Fischer qui doive ce nom à Bruggemann .
- La Tourterelle de Reichenow (Streptopelia reichenowi) et le Sénégali de Reichenow (Cryptospiza reichenovii) sont 2 des 10 espèces qui portent le nom de cet ornithologue allemand . Lui aussi fit une expédition en Afrique centrale avant de succéder à son beau-père Jean Cabanis (1816-1906), d'abord au muséum de Berlin en 1888 , puis à la Société ornithologique allemande en 1893 . Grand spécialiste de l'avifaune africaine , il décrira dans un ouvrage en 3 volumes (Die Vögel Africas) plus de 2500 espèces de ce continent , dont un bruant Emberiza cabanisi qu'il dédie en 1875 à celui à qui il doit sa carrière . Tout récemment , à Porto , les juges exotiques ont mis bien du temps avant de trouver le nom d'un plocéidé qu'il avait à juger : c'était un républicain de Cabanis Pseudonigrita cabanisi !
- Capucin de Hunstein Lonchura hunsteini ; né en Allemagne , Carl Hunstein (1843-1888) , après avoir émigré aux Etats Unis , partit chercher de l'or en Nouvelle Zélande . Cette entreprise ayant échoué , il devint collecteur de plantes et d'oiseaux en Nouvelle Guinée . C'est lui qui y découvrit plusieurs nouvelles espèces de paradisiers : outre celui de Stéphanie déjà cité , il y a le paradisier de Meyer (Epimachus meyeri) , le paradisier bleu (Paradisaea rudolphi) dédié au prince Rodolphe le mari de Stéphanie et le paradisier de Guillaume (Paradisaea guilielmi) commémorant Guillaume II d'Allemagne (1859-1941) .
- Diamant de Bicheno Taenopygia bichenovii ; le britannique James E. Bicheno (1785-1851) avant d'être nommé administrateur colonial en Tasmanie en 1842 était un botaniste amateur qui avait assisté Sir William Jardine dans la préparation de son ouvrage "Illustrations of Ornithology" . C'est sans doute à ce titre que Vigors et Horsfield lui dédièrent en 1827 ce petit estrildidé , bien connu dans nos concours. Un ville de Tasmanie porte également son nom .
- Perruche de Pennant Platycercus elegans (Gmelin 1788) ; comme Bicheno , Thomas Pennant (1726-1798) n'est pas ornithologue et n'est honoré que par un seul oiseau . Sans diplomes , il s'est cependant passionné d'abord pour la géologie et les fossiles , puis pour la zoologie , publiant "British zoologia" , une compilation en 4 volumes des connaissances de son époque . Il est surtout connu pour les récits de ses multiples voyages à travers l'Europe et ses nombreuses correspondances avec des artistes de son époque (Linné , Buffon , Voltaire , entre autres ) .
- Verdier d'Oustalet Carduelis ambigua (Oustalet 1896) ; Emile Oustalet est un zoologiste français qui co-signa avec le père Armand David (1826-1900) "Les oiseaux de la Chine" en 1877 et étudia les 160 spécimens que Jean Dybowski (1856-1928) avait ramenés de son expédition au Congo .
- Géopélie de Maugé Geopelia maugei (Temminck 1809) ; parlant de cet oiseau , ce dernier écrit : "Le naturaliste à qui nous sommes redevables de la connaissance de cette belle espèce , n'ayant pas eu le bonheur de retourner dans sa patrie , il nous a paru normal de la lui dédier" .En effet René Maugé de Cely , au cours d'une expédition qu'il effectuait sous la conduite de Nicolas Baudin dans les mers du Pacifique sud , mourut en février 1802 en atteignant la Tasmanie . Il y est enterré sur la petite île Maria au large de sa côte orientale en un endroit appelé le point Maugé .
- Perruche de Sparrman Cyanoramphus novaezelandiae (Sparrman 1787) mieux connue des éleveurs sous le nom de Kakariki à front rouge ; Anders Sparrman est un médecin suédois ayant exercé en Chine et en Afrique du Sud . C'est de là-bas qu'il rejoint la 2ème expédition de Cook dans les mers australes , engagé comme assistant des Forster père et fils . Il en fera le récit en 1787 , en français . C'est aussi à lui que l'on doit la première description du Diamant quadricolore Erythrura prasina en 1788 .
- Sénégali de Verreaux (Hypargos margaritatus) et Colombe de Verreaux (Leptotila verreauxi) ; le français Jules Verreaux (1807-1873) fit , très jeune (à 11 ans) un voyage de 3 ans en Afrique du Sud en compagnie d'un oncle , puis retourna y vivre de18 à 31 ans : aidé de son frère Edouard , il fournissait de nombreux spécimens à leur père qui tenait à Paris un commerce d'objets d'histoire naturelle . Nommé naturaliste-voyageur au Muséum de Paris en 1842 , il part en Australie et en Tasmanie d'où il revient 5 ans après, avec une collection de 15 000 spécimens .
- Diamant de Kittlitz Erythrura trichroa (Kittlitz1833) ; Heinrich von Kittlitz , bien qu'allemand fit un voyage autour du monde avec une expédition russe de 1826 à 1829 , à l'issue duquel il ramènera au muséum de Moscou plus de 300 espèces d'oiseaux .
- Colombe de Buckley Columbina buckleyi (Sclater & Salvin 1877) ; l'américain Samuel B. Buckley (1809-1884) est bien plus connu en tant que botaniste ( il a d'ailleurs un chêne qui porte son nom ) que comme géologue ou zoologue . Un rapace américain porte également son nom : Carnifex de Buckley .
- Chardonneret de Yarrell Carduelis yarrellii (Audubon 1839) ; William Yarrell a d'abord pris la suite de son père comme agent de change , puis excellent naturaliste , il devint trésorier de la Société linnéenne de Londres . En 1843 , il publie "The history of British Birds" , un livre accessible au grand public , illustré de jolies planches en couleurs qui le rendra populaire .


 

Et les autres ...?

Il n'est absolument pas possible de les citer tous . On pourrait certes s'étonner de l'absence de noms bien connus comme Jacques Barraband , Titian Peale , Edward Lear , John Latham ou William Swainson : c'est simplement parce qu'ils figurent dans un prochain article consacré aux "peintres des oiseaux" .
Pour d'autres , il reste des interrogations . Par exemple , pour la perruche de Bourke Neopsephotus bourkii (Gould 1841) , on ne sait pas si ce nom lui a été donné en l'honneur de Richard Bourke (1777-1855) , gouverneur de Nouvelles-Galles du Sud (Australie) de 1830 à 1837 ou de la ville à laquelle il a donné son nom et près de laquelle l'oiseau a été vu pour la première fois en 1835 .
C'est encore plus difficile pour la perruche de Cloncurry Barnardius z. macgillivrayi (North 1900) : son nom latin honore l'ornithologue amateur australien qui l'a découverte à 50 km de la ville de Cloncurry , mais le nom français désigne cette ville et sa rivière , elles-mêmes ainsi nommées du nom de lady Elisabeth Cloncurry , cousine du 1er explorateur de cette région d'Australie .
Le cas d'Henry O. Forbes (1851-1932) est particulier ; si plusieurs oiseaux lui ont été dédiés (Milan , râle , quiscale , pluvier) , son nom n'apparaît plus dans les noms français de 2 estrildidés : Lonchura forbesi est appelé Capucin de Nouvelle-Irlande et Erythrura tricolor longtemps nommé « diamant de Forbes » est devenu Diamant azuvert ( C'est Richard B. Sharpe qui avait trouvé en 1890 dans les collections ornithologiques du British Muséum dont il avait la charge , un spécimen différent de l'espèce-type et l'avait nommé Erythrura tricolor forbesi ; mais cette distinction n'a pu être validée par la suite et l'espèce est finalement restée monotypique mais en gardant longtemps le nom de Forbes ) .

Certains noms sont peu connus car ces naturalistes sont morts jeunes :
- Heinrich Kuhl , l'assistant de Temminck mourut à 24 ans des suites d'une infection du foie contractée à Java ( Lori de Kuhl Vini kuhli Vigors 1824) .
- Richard Böhm , lui aussi allemand , explora la région de Zanzibar et du lac Tanganyika et fit paraître de nombreux articles sur les oiseaux de ces contrées ; il mourut à 30 ans des suites d'une attaque de paludisme . ( Guêpier de Böhm Merops boehmi Reichenow 1882 ) .
- Johann Georg Wagler , un autre allemand , bien que spécialiste des reptiles et des amphibiens , publia une « Monographia Psittacorum » où il décrit l'ara bleu ; il mourut accidentellement à 32 ans en nettoyant son fusil ( Conure de Wagler Aratinga wagleri G.R.Gray 1845 ) .
- le britannique Hugh Strickland était géologue de formation mais il s'intéressait aussi aux oiseaux qu'il collectionnait ( 6000 exemplaires ) ; alors qu'il étudiait des spécimens sur le bas-côté d'une voie de chemin de fer , il est tué à 42 ans par un train express en faisant un bond de côté pour éviter un train de marchandises . ( Shama de Strickland Copsychus stricklandii Motley&Dillwyn 1855 ) .
- Théodor Kleinschmidt mourut lui aussi tragiquement à 47 ans ; ce commerçant allemand après plusieurs faillites était parti récolter des spécimens d'histoire naturelle en Indonésie : il a été assassiné par des indigènes sur l'île d'Utuaia dans l'archipel Bismarck . ( Diamant à bec rose Erythrura kleinschmidti Finsch 1878 ) .

Heureusement la plupart des ornithologues purent mener à bien la totalité de leur carrière . Ce fut le cas de Joseph Steere qui , après avoir voyagé dans de nombreux pays lointains (Amérique du sud , Chine , Taïwan , Amazonie ) , finira tranquillement ses jours à ... 98 ans !

L'ornithologue dont le nom est le plus connu dans le monde entier , alors qu 'aucun oiseau ne le porte , est sans conteste James Bond (1900-1989) : malheureusement pour lui , ce n'est pas pour son oeuvre principale "Guide pratique des Oiseaux des Antilles" mais parce que l'écrivain Ian Fleming , ornithologiste passionné l'avait lu et décida de donner le nom de son auteur ( sans d'ailleurs son autorisation ) , au héros de ses romans policiers !

Pour terminer cet article , il faut citer Johann Bechstein (1757-1822) , non pas parce qu'il a décrit l'ara de Buffon , l'éclectus de Geoffroy ou le loriquet d'Edwards en 1811 ou que des chauve-souris portent son nom , mais parce qu'il est l'auteur en 1795 d'un "Manuel de l'amateur des oiseaux de volière" , sans doute un des tous premiers livres du genre et dont le sous-titre est suffisamment explicite : "Instruction pour connaître , élever , conserver et guérir toutes les espèces d'oiseaux que l'on aime à garder dans la chambre" pour donner aux éleveurs que nous sommes , l'envie de le parcourir * .

René DRUAIS
Juge CNJF-OMJ

* Ses 384 pages peuvent être lues sur Internet en tapant son titre sur Google .